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Poésies

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vendredi, 16 novembre 2012

L'hiver

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Merd’ ! V’là l’Hiver et ses dur’tés,
V’là l’ moment de n’ pus s’ mettre à poils :
V’là qu’ ceuss’ qui tienn’nt la queue d’ la poêle
Dans l’ Midi vont s’ carapater !

V’là l’ temps ousque jusqu’en Hanovre
Et d’ Gibraltar au cap Gris-Nez,
Les Borgeois, l’ soir, vont plaind’ les Pauvres
Au coin du feu... après dîner !

Et v’là l’ temps ousque dans la Presse,
Entre un ou deux lanc’ments d’ putains,
On va r’découvrir la Détresse,
La Purée et les Purotains !

Les jornaux, mêm’ ceuss’ qu’a d’ la guigne,
À côté d’artiqu’s festoyants
Vont êt’ pleins d’appels larmoyants,
Pleins d’ sanglots... à trois sous la ligne !

Merd’, v’là l’Hiver, l’Emp’reur de Chine
S’ fait flauper par les Japonais !
Merd’ ! v’là l’Hiver ! Maam’ Sév’rine
Va rouvrir tous ses robinets !

C’ qui va s’en évader des larmes !
C’ qui va en couler d’ la piquié !
Plaind’ les Pauvr’s c’est comm’ vendr’ ses charmes
C’est un vrai commerce, un méquier !

Ah ! c’est qu’on est pas muff en France,
On n’ s’occupe que des malheureux ;
Et dzimm et boum ! la Bienfaisance
Bat l’ tambour su’ les Ventres creux !

L’Hiver, les murs sont pleins d’affiches
Pour Fêt’s et Bals de charité,
Car pour nous s’courir, eul’ mond’ riche
Faut qu’y gambille à not’ santé !

Sûr que c’est grâce à la Misère
Qu’on rigol’ pendant la saison ;
Dam’ ! Faut qu’y viv’nt les rastaqoères
Et faut ben qu’y r’dor’nt leurs blasons !

Et faut ben qu’ ceux d’ la Politique
Y s’ gagn’nt eun’ popularité !
Or, pour ça, l’ moyen l’ pus pratique
C’est d’ chialer su’ la Pauvreté.

Moi, je m’ dirai : « Quiens, gn’a du bon ! »
L’ jour où j’ verrai les Socialisses
Avec leurs z’amis Royalisses
Tomber d’ faim dans l’ Palais-Bourbon.

Car tout l’ mond’ parl’ de Pauvreté
D’eun’ magnèr’ magnifique et ample,
Vrai de vrai y a d’ quoi en roter,
Mais personn’ veut prêcher d’exemple !

Ainsi, r’gardez les Empoyés
(Ceux d’ l’Assistance évidemment)
Qui n’assistent qu’aux enterr’ments
Des Pauvr’s qui paient pas leur loyer !

Et pis contemplons les Artisses,
Peint’s, poèt’s ou écrivains,
Car ceuss qui font des sujets trisses
Nag’nt dans la gloire et les bons vins !

Pour euss, les Pauvr’s, c’est eun’ bath chose,
Un filon, eun’ mine à boulots ;
Ça s’ met en dram’s, en vers, en prose,
Et ça fait fair’ de chouett’s tableaux !

Oui, j’ai r’marqué, mais j’ai p’têt’ tort,
Qu’ les ceuss qui s’ font « nos interprètes »
En geignant su’ not’ triste sort
S’arr’tir’nt tous après fortun’ faite !

Ainsi, t’nez, en littérature
Nous avons not’ Victor Hugo
Qui a tiré des mendigots
D’ quoi caser sa progéniture !

Oh ! c’lui-là, vrai, à lui l’ pompon !
Quand j’ pens’ que, malgré ses meillons,
Y s’ fit ballader les rognons
Du Bois d’ Boulogn’ au Panthéon

Dans l’ corbillard des « Misérables »
Enguirlandé d’ Beni-Bouff’-Tout
Et d’ vieux birb’s à barb’s vénérables...
J’ai idée qu’y s’a foutu d’ nous.

Et gn’a pas qu’ lui ; t’nez Jean Rich’pin
En plaignant les « Gueux » fit fortune.
F’ra rien chaud quand j’ bouffrai d’ son pain
Ou qu’y m’ laiss’ra l’ taper d’eun’ thune.

Ben pis Mirbeau et pis Zola
Y z’ont « plaint les Pauvres » dans des livres,
Aussi, c’ que ça les aide à vivre
De l’une à l’aute Saint-Nicolas !

Même qu’Émile avait eun’ bedaine
À décourager les cochons
Et qu’ lui, son ventre et ses nichons
N’ passaient pus par l’av’nue Trudaine.

Alorss, honteux, qu’a fait Zola ?
Pour continuer à plaindr’ not’ sort
Y s’a changé en harang-saur
Et déguisé en échalas. (1)

Ben en peintur’, gn’y a z’un troupeau
De peintr’s qui gagn’nt la forte somme
À nous peind’ pus tocs que nous sommes :
Les poux aussi viv’nt de not’ peau !

Allez ! tout c’ mond’ là s’ fait pas d’ bile,
C’est des bons typ’s, des rigolos,
Qui pinc’nt eun’ lyre à crocodiles
Faite ed’ nos trip’s et d’ nos boïaux !

L’en faut, des Pauvr’s, c’est nécessaire,
Afin qu’ tout un chacun s’exerce,
Car si y gn’ aurait pus d’ misère
Ça pourrait ben ruiner l’ Commerce.

Ben, j’ vas vous dir’ mon sentiment :
C’est un peu trop d’hypocrisie,
Et plaindr’ les Pauvr’s, assurément
Ça rapport’ pus qu’ la Poésie :

Je l’ prouv’, c’est du pain assuré ;
Et quant aux Pauvr’s, y n’ont qu’à s’ taire.
L’ jour où gn’ en aurait pus su’ Terre,
Bien des gens s’raient dans la Purée !

Mais Jésus mêm’ l’a promulgué,
Paraît qu’y aura toujours d’ la dèche
Et paraît qu’y a quèt’ chos’ qu’ empêche
Qu’un jour la Vie a soye pus gaie.

Soit ! — Mais, moi, j’ vas sortir d’ mon antre
Avec le Cœur et l’Estomac
Pleins d’ soupirs... et d’ fumée d’ tabac.
(Gn’a pas d’ quoi fair’ la dans’ du ventre !)

J’en ai ma claqu’, moi, à la fin,
Des « P’tits carnets » et des chroniques
Qu’on r’trouv’ dans les poch’s ironiques
Des gas qui s’ laiss’nt mourir de faim !

J’en ai soupé de n’ pas briffer
Et d’êt’ de ceuss’ assez... pantoufles
Pour infuser dans la mistoufle
Quand... gn’a des moyens d’ s’arrbiffer.

Gn’a trop longtemps que j’ me balade
La nuit, le jour, sans toit, sans rien ;
(L’excès même ed’ ma marmelade
A fait s’ trotter mon Ang’ gardien !)

(Oh ! il a bien fait d’ me plaquer :
Toujours d’ la faim, du froid, d’ la fange,
Toujours dehors, gn’a d’ quoi claquer ;
Faut pas y en vouloir à c’t’ Ange !)

Eh donc ! tout seul, j’ lèv’ mon drapeau ;
Va falloir tâcher d’êt’ sincère
En disant l’ vrai coup d’ la Misère,
Au moins, j’aurai payé d’ ma peau !

Et souffrant pis qu’ les malheureux
Parc’ que pus sensible et nerveux
Je peux pas m’ faire à supporter
Mes douleurs et ma Pauvreté.

Au lieu de plaind’ les Purotains
J’ m’en vas m’ foute à les engueuler,
Ou mieux les fair’ débagouler,
Histoir’ d’embêter les Rupins.

Oh ! ça n’ s’ra pas comm’ les vidés
Qui, bien nourris, parl’nt de nos loques,
Ah ! faut qu’ j’écriv’ mes « Soliloques » ;
Moi aussi, j’en ai des Idées !

Je veux pus êt’ des Écrasés,
D’ la Mufflerie contemporaine ;
J’ vas dir’ les maux, les pleurs, les haines
D’ ceuss’ qui s’appell’nt « Civilisés » !

Et au milieu d’ leur balthasar
J’ vas surgir, moi (comm’ par hasard),
Et fair’ luire aux yeux effarés
Mon p’tit « Mané, Thécel, Pharès ! »

Et qu’on m’ tue ou qu’ j’aille en prison,
J’ m’en fous, j’ n’ connais pus d’ contraintes :
J’ suis l’Homme Modern’, qui pouss’ sa plainte,
Et vous savez ben qu’ j’ai raison !

Jehan Rictus
Les Soliloques du Pauvre

(1) Note de l’Auteur. — À l’époque où ce poème fut écrit, Émile Zola, qui était affligé d’une obésité considérable, suivit un traitement qui le réduisit à rien.

dimanche, 4 mars 2012

Pantoum

Harmonie du soir

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir :
Valse mélancolique et langoureux vertige

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige
Valse mélancolique et langoureux vertige
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige
Le cœur tendre qui hait le néant vaste et noir
Le ciel est triste comme un grand reposoir
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre qui fait le néant vaste et noir
Du passé lumineux recueille tout vertige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige
Ton souvenir en moi lui comme un ostensoir !

Baudelaire



Maurice Ravel - trio avec piano, Pantoum - Trio Wanderer

mardi, 21 février 2012

Cavafy

IOS - copyright Francis Deport
© Francis Deport - Ios island

ITHAQUE

Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque
Souhaite que long soit le chemin
Et riche de péripéties, riche d'enseignements

Ne crains ni les Lestrygons, ni les Cyclopes
Ni l'irascible Poséidon
Jamais tu ne verras rien de pareil sur ta route
Si tes pensées restent hautes, si ton corps
Et ton âme sont animés de purs émois

Tu ne rencontreras ni les lestrygons, ni les Cyclopes
Ni l'irascible Poséidon
Si tu ne les portes pas en toi-même
Si ton cœur ne les dresse pas devant toi

Souhaite que long soit le chemin
Et que nombreux soient les matins d'été
où avec quelle délectation, avec quelle joie
Tu feras ton entrée dans des ports nouveaux à tes yeux

Fais escale dans les comptoirs phéniciens
Pour t'y fournir de marchandises précieuses
Nacre et corail, ambre et ébène
Et mille sortes d'entêtants parfums

Acquiers le plus possible de ces entêtants parfums
Parcours maintes cités égyptiennes
Et va t'instruire, va t'instruire chez les sages
Garde toujours Ithaque en ta pensée

Y parvenir, voilà ta fin
Mais surtout, ne te hâte pas dans ton voyage
Mieux vaut qu'il se prolonge des années
Et que tu rentres dans ton île en ton vieil âge
Riche de tout ce que tu as gagné en chemin

Sans attendre qu'Ithaque t'offre des richesses
Ithaque t'a fait don du beau voyage
Sans elle, tu ne te serais pas mis en route

Ithaque n'a plus rien à te donner
Bien que pauvre, jamais elle ne t'a déçu
Sage comme tu l'es devenu après tant d'expériences
Tu sais enfin ce qu'une Ithaque signifie.


Constantin CAVAFY (1863-1933). Poète grec, né en Alexandrie
Traduit du grec par Marguerite Yourcenar

samedi, 18 février 2012

Et je cousais, je cousais...

Statue Marie-Noël, Auxerre
Quand il est entré dans mon logis clos,
J'ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
L'hiver dans les doigts, l'ombre sur le dos…
Sais-je depuis quand j'étais là sans être ?

Et je cousais, je cousais, je cousais…
- Mon cœur, qu'est-ce que tu faisais ?

Il m'a demandé des outils à nous.
Mes pieds ont couru, si vifs, dans la salle,
Qu'ils semblaient, - si gais, si légers, si doux, -
Deux petits oiseaux caressant la dalle.

De-ci, de-là, j'allais, j'allais, j'allais…
- Mon cœur, qu'est-ce que tu voulais ?

Il m'a demandé du beurre, du pain,
- Ma main en l'ouvrant caressait la huche –
Du cidre nouveau, j'allais et ma main
Caressait les bols, la table, la cruche.

Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais…
- Mon cœur, qu'est-ce que tu cherchais ?

Il m'a fait sur tout trente-six pourquoi.
J'ai parlé de tout, des poules, des chèvres,
Du froid et du chaud, des gens, et ma voix
En sortant de moi caressait mes lèvres…

Et je causais, je causais, je causais…
- Mon cœur, qu'est-ce que tu disais ?

Quand il est parti, pour finir l'ourlet
Que j'avais laissé, je me suis assise…
L'aiguille chantait, l'aiguille volait,
Mes doigts caressaient notre toile bise…

Et je cousais, je cousais, je cousais…
- Mon cœur, qu'est-ce que tu faisais ?

( Marie Noël, Les Chansons et les Heures, 1920)
Poétesse de ma région, chantée par Juliette Gréco.

samedi, 11 février 2012

La corbeille de fruits

Le Petit Palais à Paris présente une exposition de 85 peintures sur papier de Rabindranath Tagore (1861-1941) jusqu'au 11 mars 2012.
dessin de Satyajit Ray

mercredi, 11 janvier 2012

AAA+

Considero valore

«J'attache de la valeur à toute forme de vie, à la neige, la fraise, la mouche.
J'attache de la valeur au règne animal et à la république des étoiles.
J'attache de la valeur au vin tant que dure le repas, au sourire involontaire, à la fatigue de celui qui ne s'est pas épargné, à deux vieux qui s'aiment.
J'attache de la valeur à ce qui demain ne vaudra plus rien et à ce qui aujourd'hui vaut encore peu de choses.
J'attache de la valeur à toutes les blessures.
J'attache de la valeur à économiser l'eau, à réparer une paire de soulier, à se taire à temps, à accourir à un cri, à demander la permission avant de s'assoir, à éprouver de la gratitude sans se souvenir de quoi.
J'attache de la valeur à savoir où se trouve le nord dans une pièce, quel est le nom du vent en train de sécher la lessive.
J'attache de la valeur au voyage vagabond, à la clôture de la moniale, à la patience du condamné quelle que soit sa faute.
J'attache de la valeur à l'usage du verbe aimer et à l'hypothèse qu'il existe un créateur.
Bien de ces valeurs, je ne les ai pas connues.
»

Erri De Luca, , Œuvre sur l’eau, Seghers, collection Poésie, 2002, pp. 98-99



accompagné par la musique de Ludovico Einaudi.


jeudi, 21 juillet 2011

Hollyhock


Comment fleurit la rose trémière : de bas en haut de sa haute tige, à mesure que l'été passe (tandis qu'au pied de la plante les larges feuilles rouillent, se déchirent, quelquefois tombent en loques), cette façon de la floraison de se réfugier de plus en plus haut, cela m'a surpris, un jour de juin, et fait penser au soleil du soir qui fleurit en or au sommet des arbres, en rose à la cime des montagnes, de plus en plus haut, lui aussi.
Philippe Jaccottet - Cahier de verdure - Poésie/Gallimard

mercredi, 30 juin 2010

Album zutique

rimbaud
L’enfant qui ramassa les balles, le Pubère
Où circule le sang de l’exil et d’un Père
Illustre, entend germer sa vie avec l’espoir
De sa figure et de sa stature et veut voir
Des rideaux autres que ceux du Trône et des Crèches.
Aussi son buste exquis n’aspire pas aux brèches
De l’Avenir ! — Il a laissé l’ancien jouet. —
O son doux rêve ô son bel Enghien !* Son œil est
Approfondi par quelque immense solitude ;
"Pauvre jeune homme, il a sans doute l’Habitude !"

A. R. pour C. O.

* Pour Arthur, Enghien se prononcerait plutôt engin. Quant à "l'habitude" ! Arthur aimait les calembours. Enfin ! C'est vous qui voyez.

mardi, 29 juin 2010

Tuoi occhi



Verrà la morte e avrà i tuoi occhi
questa morte che ci accompagna
dal mattino alla sera, insonne,
sorda, come un vecchio rimorso
o un vizio assurdo. I tuoi occhi
saranno una vana parola,
un grido taciuto, un silenzio.
Cosi li vedi ogni mattina
quando su te sola ti pieghi
nello specchio. O cara speranza,
quel giorno sapremo anche noi
che sei la vita e sei il nulla.

Per tutti la morte ha uno sguardo
Verrà la morte e avrà i tuoi occhi.
Sarà come smettere un vizio,
come vedere nello specchio
riemergere un viso morto,
come ascoltare un labbro chiuso.
Scenderemo nel gorgo muti.

La mort viendra et elle aura tes yeux -
cette mort qui est notre compagne
du matin jusqu’au soir, sans sommeil,
sourde, comme un vieux remords
ou un vice absurde. Tes yeux
seront une vaine parole,
un cri réprimé, un silence.
Ainsi les vois-tu le matin
quand sur toi seule tu te penches
au miroir. O chère espérance,
ce jour-là nous saurons nous aussi
que tu es la vie et que tu es le néant.

La mort a pour tous un regard.
La mort viendra et elle aura tes yeux.
Ce sera comme cesser un vice,
comme voir resurgir
au miroir un visage défunt,
comme écouter des lèvres closes.
Nous descendrons dans le gouffre muets.

Cesare Pavese

mardi, 16 mars 2010

La minutieuse

L'inondation s'agrandissait.
La campagne rase, les talus, les menus arbres désunis s'enfermaient dans des flaques dont quelques-unes en se joignant devenaient lac.
Une alouette au ciel trop gris chantait.
Des bulles çà et là brisaient la surface des eaux, à moins que ce ne fût quelque minuscule rongeur ou serpent s'échappant à la nage.
La route restait encore intacte.
Les abords d'un village se montraient.
Résolus et heureux nous avancions.
Dans notre errance il faisait beau.
Je marchais entre Toi et cette Autre qui était Toi.
Dans chacune de mes mains je tenais serré votre sein nu.
Des villageois sur le pas de leur porte ou occupés à quelque besogne de planche nous saluaient avec faveur.
Mes doigts leur cachaient votre merveille.
En eussent-ils été choqués ?
L'une de vous s'arrêta pour causer et pour sourire.
Nous continuâmes.
J'avais désormais la nature à ma droite et devant moi la route.
Un bœuf au loin, en son milieu, nous précédait.
La lyre de ses cornes, il me parut tremblait.
Je t'aimais.
Mais je reprochais à celle qui était demeurée en chemin, parmi les habitants des maisons, de se montrer trop familière.
Certes, elle ne pouvait figurer parmi nous que ton enfance attardée.
Je me rendis à l'évidence.
Au village la retiendraient l'école et cette façon qu'ont les communautés aguerries de temporiser avec le danger.
Mais celui de l'inondation.
Maintenant nous avions atteint l'orée de très vieux arbres et la solitude des souvenirs.
Je voulus m'enquérir de ton nom éternel et chéri que mon âme avait oublié : "je suis la Minutieuse".
La beauté des eaux profondes nous endormit.


René Char, 'la paroi et la prairie', poèmes sur la grotte de Lascaux, dans la 'Parole en Archipel'.

dimanche, 14 mars 2010

The animator



Très joli ! A regarder plein écran.

mardi, 9 mars 2010

Insensé

Hugo profil homme



Est-ce donc la vie d'un homme ?
Oui,
et la vie des autres hommes aussi.
Nul de nous n'a l'honneur d'avoir une vie qui soit à lui.
Ma vie est la vôtre,
votre vie est la mienne,
vous vivez ce que je vis ;
la destinée est une.
Prenez donc ce miroir,
et regardez-vous-y.
On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi.
Parlez-nous de nous,
leur crie-t-on.
Hélas ! quand je vous parle de moi,
je vous parle de vous.
Comment ne le sentez-vous pas ?
Ah !
insensé,
qui crois que je ne suis pas toi !

Victor Hugo, Les Contemplations, extrait
Personnage de profil à gauche
Plume, encre brune
BNF, Manuscrits, NAF 13342, fol. 4.

vendredi, 5 mars 2010

Alvaro de Campos

Nous avons tous deux vies...
La vraie qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance
et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard.
La fausse, que nous vivons dans nos rapports avec les autres,
celle qui est pratique, l'utile,
celle où l'on finit par nous mettre au cercueil.

Dans l’autre, il n’y a ni cercueils ni morts,
il n’y a que les images de l’enfance :
de grands livres coloriés, à regarder plutôt qu’à lire ;
de grandes pages de couleurs pour se souvenir plus tard.
Dans l’autre, nous sommes nous-mêmes,
dans l’autre nous vivons ;
dans celle-ci nous mourrons, car mourir est le sens du mot vivre ;
en ce moment, par la nausée, c’est dans l’autre que je vis…

Tenemos todos dos vidas :
La verdadera, que es la que soñamos en la infancia,
Y que continuamos soñando, adultos, en un sustrato de neblina ;
La falsa, que es la que vivimos en convivencia con otros,
Que es la práctica, la útil,
Aquella en que acaban por meternos en un cajón.

En la otra no hay cajones, ni muertes,
Hay sólo ilustraciones de infancia :
Grandes libros coloridos, para ver pero no leer ;
Grandes páginas de colores para recordar más tarde.
En la otra somos nosotros,
En la otra vivimos ;
En esta morimos, que es lo que vivir quiere decir ;
En este momento, por la nausea, vivo en la otra...



Dactylographie, 19 décembre 1933, Alvaro de Campos (Fernando Pessoa)



Misia interprète un poème de Fernando_Pessoa.

Par rêve
Si vous m'aimez un peu / Par rêve / Non par amour... / Un rien... L'amour que l'on achève / Est lourd. / Faites de moi un Qui vous aime / Pas Qui je suis. / Quand le rêve est beau, le jour même / Sourit. / Que je sois triste ou laid - c'est l'ombre... / Pour que le jour / Vous soit frais, je vous fais ce sombre / Séjour

É sonho
Gostas de mim um pouco / É sonho, / E não amor / Um nada... O amor que te suponho / E dor. / Faz de mim quem te queira / E não quem sou / Pois só dessa maneira / Me dou. / Seja eu feio ou triste - é sombra... / P'ra que te seja frescu / O dia / Um outro em mim te alfombra. /

vendredi, 19 février 2010

Le mot sur la langue

Ma mère se tenait toujours à l'extrémité de la table à manger, le dos à la porte de la cuisine. Brusquement ma mère nous faisait taire. Son visage se dressait. Son regard s'éloignait de nous, se perdait dans le vague. Sa main s'avançait au-dessus de nous dans le silence. Maman cherchait un mot. Tout s'arrêtait soudain.
Plus rien n existait soudain. Éperdue, lointaine, elle essayait, l'œil fixé sur rien, étincelant, de faire venir à elle dans le silence le mot qu'elle avait sur le bout de la langue. Nous étions nous-mêmes sur le bout de ses lèvres. Nous étions aux aguets comme elle. Nous l'aidions de notre silence - de toute la force de notre silence. Nous savions qu'elle allait faire revenir le mot perdu, le mot qui la désespérait. Elle hélait, hallucinée, sa masse vacillante dans l'air. Et son visage s'épanouissait. Elle le retrouvait : elle le prononçait comme une merveille. Tout mot retrouvé est une merveille.

Pascal Quignard, Le Nom sur le bout de la langue, Folio

dimanche, 8 novembre 2009

Ma queue dans la boue !

tchouang_tseu.gif


Alors que Tchouang Tseu pêchait à la ligne dans la rivière de P'ou, le Roi de Tch'ou envoya deux de ses grands officiers pour lui faire des avances.
Les deux officiers :
"Notre Prince désirerait vous confier la charge de son territoire."
Tchouang Tseu :
" J'ai entendu dire qu'il y a à Tch'ou une tortue sacrée morte depuis trois mille ans. Votre Roi conserve sa carapace dans un panier enveloppé d'un linge, dans le haut du temple de ses ancêtres. Dites-moi si cette tortue aurait préfèré vivre en traînant sa queue dans la boue ? "
Les deux officiers :
" Elle aurait préfèré vivre en traînant sa queue dans la boue. "
Tchouang Tseu :
" Allez-vous-en ! Je préfère moi aussi traîner ma queue dans la boue. "

in Philosophes Taoistes Lao-Tseu, Tchouang-Tseu, Lie-Tseu, Pléiade - NRF

mardi, 13 octobre 2009

Sentiers sans miettes

Ce poème étant censé expliquer le titre de l'expo photos de l'égotiste auteur de ce blog.

Le terme épars

Si tu cries, le monde se tait : il s'éloigne avec ton propre monde.
Donne toujours plus que tu ne peux reprendre. Et oublie. Telle est la voie sacrée.
Qui convertit l'aiguillon en fleur arrondit l'éclair.
La foudre n'a qu'une maison, elle a plusieurs sentiers. Maison qui s'exhausse, sentiers sans miettes.
Petite pluie réjouit le feuillage et passe sans se nommer.
Nous pourrions être des chiens commandés par des serpents, ou taire ce que nous sommes.
Le soir se libère du marteau, l'homme reste enchaîné à son cœur.
L'oiseau sous terre chante le deuil sur la terre.
Vous seules, folles feuilles, remplissez votre vie.
Un brin d'allumette suffit à enflammer la plage où vient mourir un livre.
L'arbre de plein vent est solitaire. L'étreinte du vent l'est plus encore.
Comme l'incurieuse vérité serait exsangue s'il n'y avait pas ce brisant de rougeur au loin où ne sont point gravés le doute et le dit du présent. Nous avançons, abandonnant toute parole en nous le promettant.


René Char
Le Nu perdu et autres poèmes 1964-1975

jeudi, 17 septembre 2009

Jour de pluie

Abbas Kiarostami

«Death is nothing at all.
I have only slipped away into the next room.
I am I, and you are you.
Whatever we were to each other,
that we are still.

Call me by my old familiar name.
Speak of me in the easy way
which you always used.
Put no difference in your tone,
Wear no forced air of solemnity or sorrow.

Laugh as we always laughed
at the little jokes we enjoyed together.

Play, smile, think of me, pray for me.
Let my name be ever the household word that it always was.

Let it be spoken without an effort,
without the ghost of a shadow upon it.

Life means all that it ever meant.
It is the same as it ever was.
There is absolute and unbroken continuity.

What is this death but a negligible accident ?
Why should I be out of mind because I am out of sight ?

I am but waiting for you,
for an interval,
somewhere very near,
just round the corner.

All is well.»


Henry Scott-Holland (1847-1918)

mercredi, 29 juillet 2009

Pluie d'été

copyright Francis Deport pluie

L’averse d’été
tambourine
sur la tête des carpes !
Masaoka Shiki


Que la soirée est fraîche et douce !
Oh ! viens ! il a plu ce matin ;
Les humides tapis de mousse
Verdissent tes pieds de satin.
L'oiseau vole sous les feuillées,
Secouant ses ailes mouillées ;
Pauvre oiseau que le ciel bénit !
Il écoute le vent bruire,
Chante, et voit des gouttes d'eau luire,
Comme des perles, dans son nid.

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mardi, 23 juin 2009

Physalis

L'oiseau a épousé un amour en cage.
Leur histoire bat un peu de l'aile.

lundi, 25 mai 2009

Senryū *

時 誰 パス *


Trombine se ravine
Le soc s'en moque, creuse
Éphémèride


* c'est pas pour faire cultivé, c'est pour mon pote Hmouz

mardi, 28 avril 2009

La Conquête du jardin

copyright FD

Le corbeau qui nous survola
Et plongea dans la pensée confuse d’un nuage errant
Et dont le cri traversa l’horizon comme un glaive
Emportera notre nouvelle en ville.
Tout le monde sait
Tout le monde sait
Que toi et moi, nous avons entrevu le jardin

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vendredi, 3 avril 2009

La voix


Qui chante là quand toute voix se tait ?
Qui chante avec cette voix sourde et pure un si beau chant ?
Serait-ce hors de la ville, à Robinson, dans un jardin couvert de neige ?
Ou est-ce là tout près, quelqu'un qui ne se doutait pas qu'on l'écoutât ?
Ne soyons pas impatients de le savoir puisque le jour n'est pas autrement précédé par l'invisible oiseau.
Mais faisons simplement silence.
Une voix monte, et comme un vent de mars aux bois vieillis porte leur force, elle nous vient sans larmes, souriant plutôt devant la mort.
oiseau
Qui chantait là quand notre lampe s'est éteinte ? Nul ne le sait.
Mais seul peut entendre le cœur qui ne cherche ni la possession ni la victoire.

Philippe Jaccottet
Poésies 1946-1967

mercredi, 25 mars 2009

Juliette

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Plein de bébés dans ma famille, chez mes amis. J'aime.
Et le faire-part, très réussi.

mercredi, 4 mars 2009

Emma 21 février 20h 30

cherry_tree.gif Nous pouvions dire j'aime,
Ou j'ai aimé,
Ou j'avais aimé,
Ou j'aimais,
Ou j'eus aimé,
Ou j'aimerai,
Ou j'aimerais,
Ou j'eusse aimé,
Désormais nous pourrons dire j'Emma.


Héloïse 28 février 19h53

heloise.gif
La nouvelle héloïse - J.J. Rousseau

lundi, 16 février 2009

Jorge Francisco Isidoro Luis Borges Acevedo, le grand

borges.png

Las cosas

El bastón, las monedas, el llavero,
la dócil cerradura, las tardías
notas que no leerán los pocos días
que me quedan, los naipes y el tablero,

un libro y en sus páginas la ajada
violeta, monumento de una tarde
sin duda inolvidable y ya olvidada,
el rojo espejo occidental en que arde

una ilusoria aurora. ¡Cuántas cosas,
láminas, umbrales, atlas, copas, clavos,
nos sirven como tácitos esclavos,

ciegas y extrañamente sigilosas !
Durarán más allá de nuestro olvido ;
no sabrán nunca que nos hemos ido.


Les choses

La canne, les pièces de monnaies, le porte-clés,
la docile serrure, les tardives
notes qui ne liront pas le peu de jours
qui me reste, les cartes et l'échiquier,

un livre et entre ses pages la violette
fanée, monument à un après midi
sans doute inoubliable et déjà oublié,
le rouge miroir occidental où brûle

une illusoire aurore. Combien de choses,
lames, seuils, atlas, verres, clous,
nous servent comme de tacites esclaves,

aveugles et étrangement précautionneuses !
Elles dureront par delà notre oubli ;
elles ne sauront jamais que nous sommes partis.

Jorge Luis Borgès

Traduction en français de mes amis Lucia D.C. et René José LL.

mercredi, 21 janvier 2009

Lettres persannes

Forugh Farrokhzad

Le vent nous emportera
Dans ma nuit, si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
Ecoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je suis accoutumée.
Écoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochée à ce toit
Qui risque de s'effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l'accouchement de la pluie,
Un instant, et puis rien.
Derrière cette fenêtre,
C'est la nuit qui tremble
Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s'inquiète pour moi et toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains - ces souvenirs ardents -
Sur mes mains amoureuses
Et confie tes lèvres, repues de la chaleur de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera !
Le vent nous emportera !

Forugh Farrokhzad (1935-1967), écrivaine iranienne 1

1. Le vent nous emportera - titre du film chef d'œuvre d'Abbas Kiarostami

samedi, 13 septembre 2008

L'ignorant

tamie.jpg


Plus je vieillis et plus je crois en ignorance,
plus j'ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j'ai, c'est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d'abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d'ordre),
où j'attends qu'un à un les mensonges s'écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l'empêche de si bien mourir ? Quelle force
le fait parler entre ces quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l'ignare et l'inquiet ?
Mais je l'entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :

"Comme le feu, l'amour n'établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres..."


Philippe Jaccottet "L'ignorant" in "Poésie 1946-1967", NRF Poésie/Gallimard

samedi, 23 août 2008

Camillou

camille_jo.jpg

Les J.O. vus par Camille M.
4 ans.


dimanche, 17 août 2008

Intravineuse

Du vin ! Du vin, en torrent !
Qu'il bondisse dans mes veines !
Qu'il bouillonne dans ma tête !
Des coupes... Ne parle plus !
Tout n'est que mensonge. Des coupes... Vite !
J'ai déjà vieilli...


Omar Khayyam - Le Rubayat - LXXIX
chinon.jpg
d'après une image word1000.com


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