Casser un objet usuel n’a plus guère d’importance. Il suffit le plus souvent de le remplacer.
La chose (si je puis dire) devient plus complexe quand il s’agit d’un cadeau, d’un souvenir, d’un objet repère d’un évènement, d’un marqueur.

Il doit y avoir trois écoles, trois attitudes face à l’objet cassé.

La première consistant à vouer le casseur ou la casseuse aux gémonies, (y compris vous même "Ah, quel maladroit je fais !") à rassembler les morceaux et à les jeter.

La deuxième, passée la période des gémonies, vous transportera au magasin de bricolage le plus proche pour y acheter la colle ad hoc. La réparation sera faite avec le plus grand soin, l’objet blessé ne devant plus montrer sa blessure. « Ça se voit même pas ». Tout le monde sait bien qu’il est cassé, il sera moins mis en évidence, quittera le rebord de la cheminée pour être isolé au fond d’un placard.
- Je pouvais pas jeter le vase que la tante Mimi m’avait donné pour notre anniversaire de mariage.
- Il était assez moche.
- Oui, mais j’aimais beaucoup ma tante Mimi.


La troisième attitude, post-gémoniesque, est assez proche de celle de nombre de mères (et parfois de pères) de ma connaissance. La réparation est mal faite, il manque quelques petits morceaux qui sont de toutes façons partis dans l’aspirateur quand Madame Gomez est venue faire le ménage la semaine dernière. Mais, qu’à cela ne tienne, on ne jette pas.
Mais maman il était moche ce chien en faïence vert. Je l’avais gagné sur une fête foraine il y a au moins trente ans !
Moche ou pas, l’objet restera en place, ébréché, rafistolé, encore plus moche.

C’est assez curieux cette nécessité de refuser la blessure des objets, l’assiette ébréchée, la statuette fendue, l’éclat terni.
C’était tout l’intérêt de l’exposition en septembre 2006 au musée du quai Branly ( !) : Objets blessés, la réparation en Afrique.
L’objet africain est réparé mais la blessure n’est pas dissimulée, bien au contraire.
Utilisée, mise en valeur par les réparations, par des tressages, des agrafes, des clous devenant œil, la blessure n’est pas niée.
Elle est le prétexte à une recréation, à une réinvention pour obtenir ce que fut l’objet et ce qu’il est devenu après avoir vécu. Et celui-ci acquiert une nouvelle beauté.


calebasse du Mali
© musée du quai Branly photos Patrick Gries


F. D.