A travers la lucarne froide et maussade
Et que nous avons cueilli la pomme
Sur la branche joueuse et inaccessible.
Tout le monde a peur
Tout le monde a peur, mais moi et toi,
Nous avons rejoint la lumière, l’eau et le miroir
Et nous n’avions pas peur.
Je ne parle pas d’un lien faible entre deux noms,
Ni d’une étreinte dans les pages jaunies d’un livret.
Je parle de ma chevelure heureuse,
Des coquelicots brûlés de ton baiser,
De l’intimité de nos corps, à la sauvette
Et de la brillance de notre nudité
Comme les écailles des poissons dans l’eau.
Je parle de la vie argentée d’un chant
Que chante à l’aube un petit jet d’eau.
Dans cette forêt verte et fluide,
Nous avons demandé un soir aux lièvres sauvages,
Dans cette mer angoissée mais calme,
Nous avons demandé aux coquillages remplis de perles,
Dans cette montagne conquérante et étrangère,
Nous avons demandé aux jeunes aigles :
« Que faut-il faire ? »
Tout le monde sait
Tout le monde sait
Nous sommes entrés
dans le rêve froid et muet des Simorghs *
Nous avons retrouvé la vérité dans le jardin
Dans le regard timide d’une fleur inconnue
Et nous avons retrouvé l’éternité dans un instant infini
Où se regardent deux soleils.
Je ne parle pas d’un murmure de peur dans le noir,
Je parle du jour, des fenêtres ouvertes, et de l’air frais,
D’un four dans lequel brûlent des objets inutiles,
Et de la terre qui est fertile d’une autre culture,
De la naissance, de la perfection et de la fierté.
Je parle de nos mains amoureuses
Qui ont jeté, au-dessus des nuits, un pont
Porteur du parfum, de la lumière et de la brise.
Viens à la prairie !
A la grande prairie !
Et appelle-moi à travers les souffles de la fleur de soie
Comme une gazelle qui appelle sa compagne!
Les rideaux se gorgent d’un sanglot discret
Et les colombes innocentes,
Des hauteurs de leur tour blanche,
Tournent leurs yeux vers la Terre.

Forugh Farrokhzad (1935-1967), écrivaine persane

* Simorgh, l’oiseau mythique de l’épopée Le Livre des Rois de Ferdowsi, et la poésie mystique persane, qui symbolise l’âme universelle et éternelle de l’homme ou son ange, guide et sauveur initiateur.
simorgh
miniature persane - Musée national d'art de Téhéran