Nous avons tous deux vies...
La vraie qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance
et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard.
La fausse, que nous vivons dans nos rapports avec les autres,
celle qui est pratique, l'utile,
celle où l'on finit par nous mettre au cercueil.

Dans l’autre, il n’y a ni cercueils ni morts,
il n’y a que les images de l’enfance :
de grands livres coloriés, à regarder plutôt qu’à lire ;
de grandes pages de couleurs pour se souvenir plus tard.
Dans l’autre, nous sommes nous-mêmes,
dans l’autre nous vivons ;
dans celle-ci nous mourrons, car mourir est le sens du mot vivre ;
en ce moment, par la nausée, c’est dans l’autre que je vis…

Tenemos todos dos vidas :
La verdadera, que es la que soñamos en la infancia,
Y que continuamos soñando, adultos, en un sustrato de neblina ;
La falsa, que es la que vivimos en convivencia con otros,
Que es la práctica, la útil,
Aquella en que acaban por meternos en un cajón.

En la otra no hay cajones, ni muertes,
Hay sólo ilustraciones de infancia :
Grandes libros coloridos, para ver pero no leer ;
Grandes páginas de colores para recordar más tarde.
En la otra somos nosotros,
En la otra vivimos ;
En esta morimos, que es lo que vivir quiere decir ;
En este momento, por la nausea, vivo en la otra...



Dactylographie, 19 décembre 1933, Alvaro de Campos (Fernando Pessoa)



Misia interprète un poème de Fernando_Pessoa.

Par rêve
Si vous m'aimez un peu / Par rêve / Non par amour... / Un rien... L'amour que l'on achève / Est lourd. / Faites de moi un Qui vous aime / Pas Qui je suis. / Quand le rêve est beau, le jour même / Sourit. / Que je sois triste ou laid - c'est l'ombre... / Pour que le jour / Vous soit frais, je vous fais ce sombre / Séjour

É sonho
Gostas de mim um pouco / É sonho, / E não amor / Um nada... O amor que te suponho / E dor. / Faz de mim quem te queira / E não quem sou / Pois só dessa maneira / Me dou. / Seja eu feio ou triste - é sombra... / P'ra que te seja frescu / O dia / Um outro em mim te alfombra. /