J’avais promis à l’épouse du Flying Frenchman, et à Yann aussi, de donner mes impressions de Chine, tâche d’autant plus adaptée qu’il fait aujourd'hui un vent à décorner les bœufs, du genre 7 sur l’échelle de Beaufort, et que les feuilles mortes, frileuses, s’amoncellent, ccopératives, toutes seules dans un coin du jardin.
Bon, je vous le fais dans le désordre.
J’étais à l’est de la Chine, la partie la plus industrialisée, et sans doute pas la plus intéressante, mais j’étais allé là-bas il y a trente ans et je voulais voir le changement. J’ai vu. Je conseille à ceux qui veulent voir une Chine plus authentique d’aller à l’ouest (Tibet, Xinjiang, Qinghai ou Chengdu) ou au Nord (Mongolie intérieure).
L’ethnie Han domine complètement la Chine, a tout le pouvoir politique. Le pouvoir central pratique une politique d’implantation systématique des Hans (90% de la population) dans les régions autonomes. Comme l’appartenance au parti implique d’être athée, ces minorités souvent bouddhistes, musulmanes, Falun Dafa, taoïstes, chrétiennes sont exclues, de fait, du pouvoir politique.
La Chine est le premier producteur mondial de ciment (environ 40%) avec environ 1,6 milliard de tonnes par an. Vous comprendrez vite ce que devient ce ciment quand vous visiterez Beijing, Xi’an ou Shanghai. La Chine est le pays du «work in progress», les travaux sont partout, gratte-ciel, immeubles, autoroutes, ponts, métros, gares, etc. Impossible de faire une photo dans ces villes sans avoir échafaudages et grues dans le champ de vision.
A noter, qu’à de rares exceptions, les échafaudages ne sont plus comme il y a trente ans en bambous.
Espérons que ces constructions quelquefois très belles (stade "nid d'oiseau" et opéra de Beijing, gratte-ciel de Shanghai) sont réalisées avec du béton de bonne qualité, dans le respect des normes antisismiques. Mais ce n’est pas certain et un examen attentif des immeubles des hôtels dans lesquels je me trouvais permettait de constater des fenêtres mal posées, peu étanches. Tout cela est fait très rapidement, l’aspect est toujours superbe, la réalité est peut-être autre. Actuellement tout est neuf et recouvert de marbre. Qu’en sera-t-il dans vingt ans ?
Les villes de l’est sont gigantesques et quand on vous annoncera une petite ville, elle comptera quand même un ou deux millions d’habitants. La ville de Shanghai compte vingt millions d’habitants dont six millions d’habitants «flottants», c’est à dire de travailleurs précaires, venus d’autres provinces pour construire les buildings et les routes. Les baraquements de type algeco sont partout, empilés sur les sites en construction. Impossible de savoir quelles sont les conditions de vie et de travail (combien d'heures par jour) de ces chinois. Mais ça bosse fort et les gratte-ciel montent pratiquement à vue d’œil.
Dans les grandes villes vous trouverez des rues commerçantes, voire luxueuses, avec les inévitables Louis Vuitton, Chanel, Prada, Lamborghini (!) et Cartier comme dans toutes les grandes métropoles mondiales. Mais, dans le même temps, tout est copié, sans aucune restriction ni interdiction. Il est possible de trouver un vendeur de fausse montre Cartier à 20 yuans (2 euros) devant le magasin Cartier. La lutte du gouvernement contre la copie est donc complètement bidon. Les produits sont d’assez mauvaise qualité, mais les choses changeront et les constructeurs d’automobiles allemands (beaucoup de VW, Mercédès, BMW) et français (quelques Peugeot et Citroën) feraient bien de se méfier. Même chose pour l’usine Airbus. Les chinois copieront la technologie et amélioreront la qualité de production actuelle, il y a du souci à se faire.
Dans toutes les grandes villes vous trouverez également des hypermarchés absolument identiques à ceux que vous connaissez, très bien approvisionnés (y compris des Carrefour et Auchan). Mais, note importante pour mes amis italiens qui prennent le café en intraveineuse, la Chine ne produit pas de café, il est donc très difficile d’en trouver, sauf sous forme de Nes avec lait et sucre incorporés. Vous ne trouverez du café que dans les quatre étoiles des grandes villes. J’ai payé un vrai expresso (Illy) plus cher qu’un whisky !
La circulation automobile est démentielle. Pour faire le trajet Shanghai Suzhou, environ cent kms, nous avons mis deux heures trente. La ville de Beijing compte 5 ou 6 périphériques, le premier passant derrière la cité interdite. Les chinois ont fait absolument les mêmes erreurs que nous, voitures trop grosses occupées par une ou deux personnes.
La pollution est très importante inévitablement. Une brume, dont on ne sait jamais si elle est météorologique ou due à la pollution recouvre toutes les grandes villes. Dans l’une des villes que nous avons visitée, le guide local nous a quand même dit que cette brume était due aux paysans des environs qui brûlaient les fanes de maïs ! Mais bon, c’est le même qui nous expliquait que Den Tsiao Ping était le bouddha de l’ouest.
Conséquence inévitable, toutes les grandes villes chinoises ont un problème colossal d'eau potable. Toutes les nappes phréatiques sont polluées.

copyright Francis Deport
Hangzou - ville moyenne, 1er novembre vers 17h


D’une façon générale, en Chine on cache la réalité contrairement à l’Inde qui montre sans vergogne sa richesse comme sa misère. Ici, tout est dissimulé. Les travaux de démolition et de construction sont dissimulés par d’immenses panneaux publicitaires ou décoratifs, vous aurez le plus grand mal à traverser des rues miséreuses (il y en a bien sur), et l’on voit beaucoup moins de pauvres qu’à Paris. Ils existent, mais où sont-ils ?

copyright francis Deport
Jardin du temple du ciel - Beijing


Les traces du passé (remparts de Beijing par exemple), vieux quartiers, monastères, pagodes ont été systématiquement démolis et le sont encore. Il reste quelques hutongs (maisons anciennes) à Beijing, vite reconvertis en balades tarifées pour touristes, le vieux quartier de Shanghai est moribond, le Bund en pleine «rénovation» est inaccessible et autour de la gare de Shanghai où nous habitions, de vielles rues et maisons cernées par les grues, paraissaient en grand danger de disparition. Questions au guide :
«Où vont aller ces gens, sont-ils contents d’être expulsés du centre ville ? »
«Oui bien sur, le gouvernement va les reloger dans des immeubles neufs et ils auront plus de place et une salle de bain.»
«Relogés où ? Au niveau du quatrième périphérique ?»
« Oui, en banlieue. »
«Mais il seront très loin du centre.»
«Tout le monde ici doit faire une heure et demi à deux heures de trajet matin et soir.»

Compensation, les bus sont neufs et très confortables et le réseau de métro est en plein développement.
Les ravages de la révolution culturel ont été très importants, dans la population bien sur (70 000 000 de morts sous le règne de Mao) et pour ce que nous avons vu, sur les monuments. Les guides de mauvaise foi imputaient la disparition de toutes les têtes de Bouddha à Longmen au vol par les Américains et les français. «Elles sont au musée Guimet, elles sont à New-York». Ce qui est vrai. Mais ce sont des centaines de têtes qui ont disparu, elles ne sont pas toutes à Guimet. Mais dire que la révolution culturelle était passée par là aussi ne fut admis que dans de rares exceptions. Nous avons visité un nombre impressionnant de monastères et de pagodes fraîchement reconstruits, assez bien d’ailleurs. La poussière aidant, je ne serai pas étonné que dans dix ans, la mention d’une reconstruction soit omise. Mais le plus souvent ces monastères sont vides, sans vie. Et quand quelques moines sont présents, ils paraissent cantonnés dans un rôle de gardien des lieux. La Chine ne détruit-elle pas ses racines et son histoire ? Avec le risque d'un «retour du refoulé» ?
D’une façon générale la visite des monuments (cité interdite, grottes de Longmen, pagodes, jardins et monastères de toutes sortes) est assez décevante. Il y a beaucoup de monde en Chine, et le tourisme chinois est en plein développement. Tous les sites sont donc bardés d’interdictions, les photos souvent interdites et les salles de la cité interdite portent à nouveau bien leur nom ; elles sont inaccessibles et devant chaque porte infranchissable des couches de touristes interdisent de voir quoi que ce soit et ne voient rien non plus. Des groupes précédés d’un guide hurlant dans un haut-parleur sillonnent les lieux à toute vitesse, tous avec la même casquette rouge ou bleue vissée sur la tête. Une exception pour les parcs, entourant les monuments, qui sont verdoyants, très bien entretenus, et dans lesquels les chinois pratiquent quantités d’activités sympathiques : T'ai Chi Ch'uan, gymnastique, danse, musique, jeux de cartes, de dominos…
Les mœurs sont évidemment très différents des nôtres. C’est l’un des charmes de ce pays bien sur. Les chinois sont souvent très aimables et souriants, même si ça bouscule un peu. Mais il y a tellement de monde qu’il faut bien faire sa place. Toujours un peu étonnants les multiples raclages de gorge, crachats qui auraient diminués mais qui accompagnent encore bien votre quotidien. La pudeur n’est absolument pas la même qu'en France. Quelques rares amoureux se tiennent la main, mais les démonstrations publiques d’affection sont assez rares. En revanche dans les toilettes publiques la pudeur a disparu. Le chinois mâle a tendance à sortir son matériel bien avant les urinoirs et à le ranger itou. Des panneaux signalent d’ailleurs en chinois et en anglais qu’il faut s’approcher de l’urinoir. Quand à la grosse commission, elle se fait la porte ouverte surtout si vous avez des bagages ou un caddie et qu’il serait malaisé de les faire entrer dans la cabine.
Curieusement la police est assez peu visible, mais je n'avais peut-être pas les yeux pour voir. Un détail cependant, qui explique l'abandon de ce blog pendant trois semaines, trente mille policiers sont affectés uniquement à internet. N'essayez pas d'accéder à votre compte Free, à Facebook ou autre Wikipedia, vous vous retrouveriez avec un magnifique écran vous expliquant que ce site n'est pas accessible !
Quant à la nourriture elle est excellente et il est possible de manger équilibré, les repas comportant toujours des légumes (concombres, :( épinards, racines de lotus, tōfu), des féculents (riz, pommes de terre, patates douces), de la viande (poulet, canard, poisson, porc), fruits (mandarines, pommes, pastèques). Mais pratiquement pas de laitage.
Bon ! Voilà j’ai bien consciente de n’avoir pas toujours été très positif mais c’est ce que j’ai vu et entendu. Avec ma subjectivité.
Que penser de ce voyage ? J’ai vu des lieux magnifiques, dans les montagnes essentiellement, les guides étaient absolument charmants et compétents à une exception près, les hôtels souvent très confortables, les chinois toujours agréables. Mais je reste convaincu que même à l’est, même à Beijing et à Shanghai il est possible de voir une autre Chine, moins moderne, moins reluisante, plus réelle. Mais c’est très difficile et pas en voyage organisé.
Je ne retournerai pas à l’est de la Chine, peut-être à l’ouest. Avec le risque de revenir scandalisé du Tibet ou du Xinjiang ?

A regarder : «Le parti communiste chinois : comment arrive t-il encore à faire tenir le pays» conférence de Jean-Philippe Béja, directeur de recherches au CNRS