Francis blog

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Tag - Shakespeare

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mardi, 27 novembre 2012

Pour être mieux entendu, allitérez !

L'allitération est une figure de style destinée à créer dans la phrase une musique, une harmonie, par la répétition de consonnes ou de voyelles. Et puis ça aide aussi à mémoriser.

«Jeanne sur son âne, tout feu tout flamme, part samedi soir pour la foire d'Issoire.
Quelle histoire !
Ursule sur sa mule qui tire à hue et à dia, y va cahin caha. Passe côté cour puis côté jardin et tombe nez à nez sur l'âne de Jeanne.
Et patatras le voilà cul par dessus tête.
Et patati et patata, nez à nez, dos à dos, pied à pied, vivement s'invectivent, hurlent sans rime ni raison.
Au fin fond se dit Ursule qui gesticule Jeanneton a raison.
Lui propose repos et repas gras qui font gros et gras.
Nom de nom, se dit Jeanne, Ursule est une crapule qui n'a ni foi ni loi. Me promet monts et merveilles, mais me voulait aliter, je ne serai pas crédule.
Lui file une paire de claques.
Ursule se sent morveux, se mouche, remet ses cliques et bon gré mal gré, s'en retourne sur sa mule, sans tambour ni trompette.
Tout est bien qui finit mal. Au loin l'hulotte hulule."
(1)

L'allitération fut beaucoup utilisée dans la poésie anglaise. Celle-ci était destinée à être chantée.(Chaucer, Shakespeare... )

When forty winters shall besiege thy brow
And dig deep trenches in thy beauty's field (...) (3)

Lorsque quarante hivers assiègeront ton front,
au champ de ta beauté creuseront des tranchées...


Mais il ne faut pas confondre allitération et virelangue (tongue-twister in english). Ce dernier, tout allitératif qu'il soit est destiné à provoquer d'hilarantes difficultés de prononciation. Un grand classique des cours d'école de notre enfance.

"C'est six sous, ces saucissons-là ? Si ces six saucissons valent six sous, combien valent ces six saucissons-ci ?" Spéciale hérédité charcutière !
"Si six scies scient six cigares, six-cent-six scies scient six-cent-six cigares." Eh oui !
«Pruneau cuit, pruneau cru, pruneau cuit, pruneau cru, pruneau cuit, …» (succès garanti pendant la redoutable période "caca-boudin").

Et le classique et très complet :

«Kiki était cocotte, et Koko concasseur de cacao. Kiki la cocotte aimait beaucoup Koko le concasseur de cacao. Or un marquis caracolant, caduc et cacochyme, conquit par les coquins quinquets de Kiki la cocotte, offrit à Kiki la cocotte un coquet caraco kaki à col de caracul. Quand Koko le concasseur de cacao s’aperçut que Kiki la cocotte avait reçu du marquis caracolant, caduc et cacochyme un coquet caraco kaki à col de caracul (2), Koko le concasseur de cacao conclut : je clos mon caquet, je suis cocu !»

Quant à l'assonance, c'est une allitération de voyelles :

«Cuisinant en chantant le merlan, le hareng, le chenapan de dix ans prend son temps, doucement, mijotant sans maman le présent de nos dents. Du nanan !
Sa frangine, Clémentine la coquine, a l'angine. Elle débine ses sardines. Assassine, la gamine n'est pas fine, elle badine ses babines, lui serine pateline des comptines. La bibine illumine sa bobine sanguine."»
(1) Pas mal, non ! ;)

(1) R. H.
(2) race de mouton
(3) Shakespeare - Les Sonnets 2

dimanche, 17 juillet 2011

Le sourire

copyright FD
Bhoutan - Thimfu - ouvrier d'une usine de fabrication de papier

Ce qui est fâcheux avec ce thème du « sourire », au-delà de l’abondance de textes qui vous empêtre de cent pages et mille références, c’est le caractère souvent cucul, voire niaiseux de la littérature sur le sujet, surchargée de bondieuseries affligeantes, d’anges radieux, d’âmes charitables, de bons sentiments pâteux, de maximes sucrées.
Me pose également problème, dans nos cultures occidentales, une comparaison entre rire et sourire qui me paraît assez suspecte.
Le rire, trop bruyant, incontrôlé, serait assis sur le banc de la plèbe, comme un laisser-aller douteux, un manque de retenue, de tenue ; alors que le sourire camperait sur les plus hautes marches de la hiérarchie des émotions humaines, parce que silencieux, discret, délicat ; il révèlerait une distinction, une intelligence.
Voltaire : «Il est permis de rire, mais de grands éclats de rire sont indécents».
Ainsi, n’imaginez pas un instant que la reine d’Angleterre puisse rire, pouffer, s’esclaffer s’esbaudir même, en public, se tapant sur les cuisses, bourrant d’un coup de coude les côtes du prince Charles tout en lui balançant une œillade entendue.
Et je n’oublie pas ce qu’a écrit un autre anglais, (Shakespeare - Hamlet) «On peut sourire et sourire et pourtant être un scélérat».
Qu’il soit donc bien entendu que, si je suis plus enclin à sourire qu’à rire, par timidité peut-être, j’affirme néanmoins que, comme on le dit dans mon ascendance bouchère, une bonne rigolade vaut bien un beefsteak. Quelque fois saignant, je vous l’accorde.
J’ai un troisième problème avec le mot sourire et son étymologie.
Construit à partir du latin « ridere» et du préfixe « sub », le sourire apparaîtrait avant le rire, il serait même une sorte de rire «au rabais», un rire léger, ébauché, affaibli, inachevé, esquissé.
Littré parle même de rire sans éclat, par un léger mouvement de la bouche et des yeux.
Quant au philosophe Alain, inévitable sur le sujet, il écrit : « Le sourire est la perfection du rire ».
Bon ! Je ne partage pas ce rapprochement permanent.
« Le rire et le sourire se tournent souvent le dos ». « L'esprit et l'humour ne font pas fatalement rire, parfois à peine sourire. [Pourrait]-on du moins embrasser tout cela sous la notion large de comique ? Mais le sourire absolu, celui d'un bouddha khmer, [de l’ange de Reims, ou de la vierge dorée d’Amiens] n'appartiennent au comique d'aucune façon».
L’étymologie est donc en partie trompeuse. Elle n’est d’ailleurs pas la même dans toutes les langues, « laugh » et « smile » en anglais par exemple sont deux mots sans racine commune. Il existe une racine indo-européenne (s)mei- signifiant sourire, qui a donné en grec μειδιάω (meidiaô) et en anglais smile.
Le sourire est une attitude, une expression, une mimique, une émotion, un comportement, un silence. Il a ses propres motivations et plus que le rire, il est le plus souvent un acte volontaire.
L’homme rieur lâche prise, émet, convulse, agite. Il participe d’un jeu, quelle que soit la nature de ce jeu.
Le sourire est un message que l’on envoie ou renvoie.
Le rire « est abandon de gouvernement » suivant la formule d’Alain, l’homme sourieur est dans la mesure, dans la maîtrise.
L’homme rieur vit une situation, le même homme sourieur vit un état.

Petite physiologie du sourire

Georges Dumas, éminent membre de l’Institut, de l’académie de médecine et professeur à la Sorbonne écrivit dans un remarquable ouvrage sur le sourire paru en 1948, illustré de planches d’écorchés qui vous donnent immédiatement l’envie de sourire, si l’on veut bien les regarder avec un peu de distance.
Il spécifie, avec beaucoup de bon sens que « Ce n'est pas seulement la bouche qui sourit mais les joues, le nez, les paupières, les yeux, le front, les oreilles, et si l'on veut bien comprendre la nature et la signification du sourire, il importe de ne négliger aucune des parties du visage par lesquelles il s'exprime. ». Pour ceux que cela intéresserait, « le buccinateur attire en arrière les commissures des lèvres ; l'élévateur de l'aile du nez et de la lèvre supérieure ainsi que l'élévateur propre de la lèvre supérieure exercent l'action indiquée par leur nom, le petit zygomatique attire en haut et légèrement en dehors la partie de la lèvre supérieure à laquelle il s'insère, le grand zygomatique attire en haut et en dehors la commissure labiale et le risorius de Santorini l'attire en arrière. »
image d'un écorché
Et par souci d’honnêteté, le Professeur Dumas ajoute que le petit zygomatique, l'éleveur de la lèvre supérieure et l'éleveur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure sont également les muscles du pleureur, voire du pleurnicheur. Le passage du sourire joyeux au sourire triste ou de désappointement serait donc physiologiquement prévu.
Théodor Piderit, médecin allemand très 19e siècle, considérait les yeux comme le miroir de l’âme et pensait même que « les contractions de l’orbiculaire et des muscles des joues exercent sur […] l'œil, une pression suffisante pour augmenter la tension et l'éclat du contenu liquide ».
Le sourire ferait donc briller le regard !
Darwin, rompt avec ces conceptions téléologiques, renonce à découvrir la finalité des expressions pour se tourner vers la recherche de leurs causes et en donner une interprétation rationnelle. Pour lui, le caractère inné des mouvements de l’expression ne signifie pas qu’ils remontent à la création de l’homme. Ils ont été acquis indépendamment de tout dessein divin au cours d’un processus de formation graduel dont ils sont le résultat fortuit.
Pour faire simple, c’est parce qu’il avait des raisons de sourire ou de pleurnicher, que l’homme a pleurniché et souri et développé son grand zygomatique et non l’inverse.

Sourire et cultures

Les intentions et réflexes qui font naître le sourire me paraissent être à la fois éminemment semblables et variables en fonction des peuples et des cultures. Impossible de savoir si nos ancêtres souriaient sans les écrits et l’art. Il nous faut donc nous y référer.
Le Dieu de la Bible ne rit pas. Ainsi, quand Sara apprit qu’elle aurait un enfant, elle se mit à rire en elle-même et dit : « Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux ! » Dieu dit à Abraham : « Pourquoi ce rire de Sara ? » (à noter que Dieu ne parle pas directement à Sara !). Sara nia en disant : « Je n’ai pas ri » car elle avait peur. « Si ! reprit Dieu, tu as bel et bien ri».(Gn18,1-15).
Il y a Isaac, leur fils, dont le nom signifie « Il rira » ou « la joie », mais le rire biblique est plus souvent celui du sot - celui de l'homme qui marche hors de la vérité - que le rire du juste. Le rire du sot est impur, celui du juste est discret, il peut se dégager de la polémique et exprimer le soulagement de l'âme comblée par Dieu (Ps 126,2; Jb 8,21).
La moquerie est l'équivalent du refus de croire. Ainsi, les moqueurs se font entendre au Calvaire (Mc 15,29s; Lc 23,35s).
Jésus devait sourire aux enfants - preuve de sa part d’humanité. Cependant Il disait qu'un certain rire, celui des satisfaits (on parlerait sans doute aujourd’hui des nantis) (Lc 6,25; cf Jc 4,9) ne durerait pas, et promettait à ceux qui pleurent le rire d'une joie définitive (Lc 6,21) ! Le Vocabulaire de théologie biblique est formel, le mot sourire n’y paraît pas. On ne se marre guère dans la Bible.
En Grèce, Aristote dans le court passage de sa Poétique qu’il consacre à la comédie, écrit que celle-ci « traite de ce qui est risible, et ce qui est risible est un aspect de ce qui est honteux, laid ou vil. Si nous nous trouvons en train de rire d’autrui, ce sera parce qu’il manifeste un défaut ou une marque de honte qui, bien qu’elle ne soit pas douloureuse, le rend ridicule. Ceux qui sont les plus risibles sont par suite ceux qui nous sont, d’une certaine manière, inférieurs, surtout moralement, bien que leur caractère ne soit pas entièrement vicieux. »
Par ces deux héritages, le juif et le grec nous héritons de cette dévalorisation multi-millénaire du rire qui me paraît subsister aujourd’hui encore.
Pourtant, les grecs disposaient de deux mots « gelaô » le rire, « meidiaô » le sourire.
kouros
La statuaire en témoigne. Les statues des kouros et des korés de la période archaïque arborent un délicieux visage souriant.
Mais ce sourire sera de courte durée. Pendant la période classique la statuaire est marquée par l'austérité, la sobriété des formes et des visages. Ceux-ci sont impassibles, graves. Leur immobilité exprime l’idée que les grecs se faisaient de la dignité de leurs Dieux, des héros mythiques et de l’homme libre.
Les romains, quant à eux, ne possèdent qu’un seul mot, le « risus » qui englobe ce que nous appelons rire et sourire. Et leurs statues ne se révèlent guère plus souriantes. Par influence de la statuaire grecque, par souci de réalisme. Les personnages sont fiers et austères. Les personnages masculins sont vêtus de la toge des grandes figures du gouvernement ou de la cuirasse des héros guerriers caractérisant leur fonction, leur rang. Seules les statues de satyres étaient alors hilares mais grotesques.
etrusque
scribe

Et pourtant quelques siècles avant, il y eut l’Italie avant Rome, il y eut les étrusques.
Le poète italien Vincenzo Cardarelli écrit « Ici ria un jour l’Etrusque, allongé, le regard effleurant la terre pour se perdre dans la mer… »
Le sourire étrusque illuminera toute la statuaire pendant deux siècles et Léonardo s’en souviendra.
Dans leurs nécropoles silencieuses de Tarquinia, les statues assises sur leur sarcophage, montrent leur visage doux et confiant devant la mort, confiant en leur déesse-mère.
Aux Ve et VIe siècle avant notre ère, le sourire, qui éclaire aussi le visage des humbles scribes d'Egypte, est présent dans l’art des grandes civilisations de la Méditerranée.
Au 3ème siècle Gallien identifiait les quatre humeurs, situait la bile noire dans la rate, à l’origine de la mélancolie. Et pour de nombreux siècles, ces mauvaises humeurs, sang, bile, phlegme et autres mauvaises causes firent s’éteindre, au début du premier millénaire en Occident, les sourires des statues.
L’art chrétien ne le servit guère ensuite, malgré le thème de la nativité. Il faudra attendre le 12ème siècle pour que les compagnons extraient de la pierre le sourire des anges des cathédrales, symbole d’une foi et d’une espérance enfin joyeuses.
Il y eut donc le sourire rémois.
Robert Antelme : « À l’écart, il y a cet ange qui sourit, la tête penchée. Il n’appartient pas au monde qu’il côtoie : statues qui sont des cariatides, sereines sans doute, car la vérité qu’elles expriment est déjà bien affirmée, moins lourde à porter, familière, mais les cariatides tout de même de cet ensemble, de ce corps qu’elles constituent à elles toutes, immuable. Lui ne porte rien. Des anges de la chrétienté, il est sans doute le seul qui n’appartienne pas à cette histoire. Il n’est pas surpris des larmes des femmes, il n’est pas non plus dans la joie commune, dans la gloire de tous, ni dans le peuple des délicieux musiciens, il ne triomphe d’aucun mal : en rien, il ne participe au Pouvoir. Il ne règne pas.
ange au sourire
Le sourire de Reims fait mieux saisir combien celui du Bouddha et de l’extrême Orient est le sourire de l’autorité. Tout est renvoyé à la lourde égalité, tout est par essence dans la vanité de tout, et sans doute ce mouvement de renvoi ne pouvait-il s’incarner que dans un sourire, et sans doute aussi ce sourire ne pouvait-il être que celui de l’autorité.[…]
Être sans pouvoir, c’est son essence : son sourire ne peut être celui du règne. Être de toujours, mais surtout devoir être toujours, et ce sourire ne peut être celui de l’ironie.
La légère inclination de la tête, où sont la connaissance et l’obéissance : l’habitude. Le commandement auquel il obéit, c’est le regard, n’importe quel regard, sur n’importe quoi. De l’homme à l’herbe, de l’homme à l’homme, de l’homme à l’absent, ce qui est là, c’est sa figure. Étouffée ou radieuse, elle est là, obligée. Parole, image, musique, tout le dit et rien. Il est au cœur du domaine où toute relation va naître. Éternellement recommencée. Ne possédant rien, ne pouvant rien, il est obligé d’être là toujours. Et s’il arrive que l’on dise : “ la seule transcendance c’est la relation entre les êtres ”, dans le bonheur et dans les larmes, c’est lui que l’on voit. Otage régulier de cette prodigieuse bastille, ni maître ni frère, il est dans ce qui se passe, ce qui ne peut pas ne pas être reconnu.»

jayavarman vii.
A la même époque, à Angkor et au Bayon, sur les statues de Bouddha, d’Avalokitésvara et du roi Jayavarman VII, le bouddhisme théravada dessinait le sourire de celui qui ne règne pas, le sourire khmer. Un sourire sincère qui masque sans hypocrisie, qui met la douceur dans le paraître, la distance dans l’harmonie de la relation à l’autre.
L’écrivaine khmère Claire Ly dit : « La personne est un sujet changeant, une entité marquée par la loi de l'impermanence. Il est impossible de saisir pour toujours cet être profond. Devant cette impossibilité, il est important de soigner le «paraître». La face devient donc la dignité même de la personne. Le sourire khmer est […] une façon de garder la face pour soi-même et pour son interlocuteur. Parler, avec le sourire, du génocide de Pol Pot à un étranger est la façon khmère de le respecter. Le sourire est aussi un voile intérieur qui préserve […] de ses propres sentiments, un sourire tourné vers l'intérieur. »
Avec la Renaissance, dès la seconde moitié du Quattrocento en Italie, tout l’élan de la nouvelle confiance en l’être humain, porté par l’idéal humaniste, impose le visage comme le lieu privilégié de l’expression spirituelle, de la représentation des sentiments, des humeurs et des états d’âme.
Alors il y eut Léonardo…

Les mots du sourire

Voici quelques adjectifs pour tenter de cerner, ce signe éphémère, ce presque rien, le sourire…
- Le sourire accueillant, « Bonjour, comment vas-tu ? »
- Agacé : « si ce chat continue de miauler, il se pourrait qu’il finisse en civet ».
- Aguichant : « et Eve lui tendit une pomme ».
- Amical : il peut-être accompagné d’un léger mouvement de la main et d’une douce agitation du bout des doigts.
- Aux anges : défini généralement le sourire du bébé, même quand il est issu de parents non croyants.
- Béat, strictement réservé aux bienheureux.
- Benêt : personnellement utilisé dès l’âge de 6 ans, devant un tableau noir, quand j’avais préféré jouer au billes plutôt qu’apprendre ma récitation.
- Boudeur : très pratiqué chez certains adolescents.
- Cauteleux : « le ministre nous annonçait des mesures de plus en plus dures avec son éternel sourire cauteleux et sa voix adipeuse »
- Commercial : sorte de paralysie faciale du vendeur autorisant le client à négocier immédiatement un rabais.
- Complice : s’accompagne le plus souvent d’un léger clignement des deux yeux.
- Condescendant : celui de votre hôte quand vous avez bu d’un seul trait l’intégralité du rince-doigts.
- Contagieux : quand toute la tablée vous voit boire le rince-doigts.
- Crispé : généralement affiché par le barman quand vous lui annoncez que vous n’avez plus de monnaie pour le pourboire. Accompagne la réponse « ça ne fait rien».
- Cruel : quand s’approche un 15 tonnes et que musarde l’affreux chat miauleur de la voisine.
- De convenance : intégralement fabriqué, n’exige que l’utilisation du petit zygomatique .
- De satisfaction, exemple :« il termina son dessert, but lentement son café, porta sa main dans la poche de sa veste quand son collègue lui dit – non laisse, c’est pour moi »
- Diabolique : encore plus redoutable s’il est satanique.
- Eclatant : déclinaison dentaire.
- En coin : ne nécessite l’utilisation que d’un seul zygomatique.
- Entendu, exemple : quand votre grand-mère apprend que le bébé de votre cousine Adèle est né 23 jours après son mariage.
- Fielleux : quand votre grand-mère rencontre votre cousine Adèle.
- Figé : à l’annonce du montant de la facture du plombier.
- Fourbe : spécialement identifiable dans les films de cape et d’épée des années 60.
- Gêné : Quand vous entrez dans les WC occupés alors que la porte n’était pas fermée à clef.
- Hypocrite : quand vous récupérez pour votre anniversaire un poisson en céramique multicolore à poser sur la télévision.
- Indéfinissable : Mona Lisa.
- Machiavélique : il y a de la stratégie en perspective.
- Malicieux : souvent attribué aux enfants, elfes et lutins.
- Matois : plus adapté au chat d’Alice aux pays des merveilles, qu’au chat de ma voisine. - Méprisant : s’accompagne généralement d’un regard de même nature.
- Permanent : voir sourire commercial.
- Oisif : « Quand passait des inconnus, elle laissait cependant autour de ses lèvres un sourire oisif, comme tourné vers l’attente ou le souvenir d’un ami et qui faisait dire « comme elle est belle » (Proust - Du côté de chez Swann).
- Ravi – essentiellement réservé aux crèches provençales.
- Séducteur : pas nécessairement macho.
- Sincère : quand même le plus fréquent.
- Timide : ne pas toujours s’y fier.
- Voluptueux : « Touchez ce sourire voluptueux, dessinez de vos doigts l’hiatus ravissant. » (Aragon - Le con d'Irène).
- Voltairien : accompagne la phrase « Je pardonne de tout cœur à ceux dont je me suis moqué. »
engels

Je précise qu’il peut être extrêmement souriant d’essayer, entre amis, après sustentation adaptée, de faire tous ces sourires.
Pour être complet, je me permets d’attirer votre attention sur tout homme chez qui le sourire, s’il en est, ne serait pas identifiable, je veux parler des « barbus » (Engels, Marx, Staline, etc.).
Par ailleurs, je constate que tout port de voile, tchador et autre burka interdit de recevoir un sourire et qu’à ce titre, et pour d’autres raisons encore, je suis contre le port de ces colifichets.

Pour ne pas conclure

Le sourire « petite âme, âme tendre et flottante » qui erre sur chaque visage humain ; promesse de compréhension, « fixe des vertiges » (Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, p. 69) de joie, de douceur, de tendresse, de sympathie, d’affection, de jouissance, d’amertume ou de tristesse.
Et puisqu’il n’est pas simple de sourire chaque jour, deux textes me paraissent nécessaires.

Et un sourire - Paul Eluard, Le Phénix, 1951

La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l'affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager.


Et Lévinas, auquel je ne peux que revenir toujours.

« […] s'oublier dans la légèreté essentielle du sourire, où l'existence se fait innocemment, où dans sa plénitude même elle flotte comme privée de poids et où, gratuit et gracieux, son épanouissement est comme un évanouissement […]. »

FD

Bibliographie :

- Jean-François Féraud: Dictionaire critique de la langue française. Marseille, Mossy, 1787-1788, 3 vol. Consulté sur le site de l’ARTFL, University of Chicago.
- William Shakespeare - Hamlet
- Vocabulaire de théologie biblique. Cerf - 1964
- Georges Dumas - Le sourire. Psychologie et physiologie (1948) PUF
- Jacqueline Duvernay Bolens - Le déplacement de l’intentionnalité chez Darwin - Revue française d’anthropologie
- Les Etrusques et l’Italie avant Rome – Ranuccio Bianchi Bandinelli – Antonio Giuliano – L’univers des formes - Gallimard
- Robert Antelme, Textes inédits, Gallimard 1996
- Louis Aragon - Le con d’Irène
- Hadrien – poèmes - Animula vagula, blandula
- Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer