Eh oui, ça se prononce (kôl-tar), mais ça s'écrit coaltar !

C'est un goudron provenant de la distillation de la houille.
In english : coal (le charbon) et tar (le goudron). C'est donc un mot d'origine britannique. Enfin presque, puisque "coal" est une aphérèse, le mot complet est "charcoal" qui pourrait avoir comme origine "charbon" ; et "tar" pour origine "terre".

On retrouve le mot "Tar" (et éventuellement le motard) dans "tarmac", ce lieu où les avions attendent avant de se positionner sur la piste d'envol. Ils font de même après l'atterrissage, bien sûr !

Le tarmac, qui est lui-même une apocope de "tarmacadam".
Macadam étant, par surcroît, une aphérèse de la technique d'empierrement inventée par "John-Loudon McAdam", astucieux (I'll be dogoned, by Jove ! * ) ingénieur écossais (1756-1836), inventeur de ce système de revêtement des routes, le macadam.
Vous suivez ?

Donc, ce goudron de houille, d'apparence noirâtre, fit naitre la métaphore "avoir la tête dans le coaltar", expression certes populaire mais particulièrement illustrative d'une situation personnelle peu claire, généralement matitutinale, causée par l'ingestion de substances nocives mais délicieuses (as usual) pendant la courte nuit précédente.

Si, dès potron-minet, vous vous sentez vaseux, errez en cherchant la cafetière-qui-pourtant-était-encore-là-hier-soir, vitupérez sur la disparition de la boîte à sucre, marchez sur la voiture de pompiers du gamin, vous fracassant le dos sur le bord de la baignoire, vous avez, c'est certain, la tête dans le coaltar.

Compte tenu de votre niveau d'hébétude occasionnelle, la locution peut avantageusement être remplacée, avec moins de poésie toutefois, par "être dans le brouillard", "être dans le cirage", "être dans le gaz", ou "avoir la tête dans le C..." ; cette dernière expression, plus triviale, étant essentiellement réservée à nos amis sportifs, les seuls possédant soit la souplesse exigée pour réussir le mouvement avec un degré suffisant d'élégance, soit pratiquant un sport collectif (cyclisme, catch...) autorisant des approches plus "fondementales" du coéquipier.

Le coaltar ne mérite peut-être pas toute cette indignité !

Il fût très utile : pour imprégner les bois (par injection, enduit), comme désinfectant et antiseptique, dans le traitement du psoriasis. Il est encore utilisé aujourd'hui pour des choses rassurantes comme les colorants, les médicaments, les explosifs, les arômes alimentaires, les parfums, les édulcorants de synthèse, les peintures, les agents conservateurs, les insecticides, les résines, les antiseptiques, les décapants de peinture et les matières plastiques. Help !

Au XIXème siècle, il permettait de lutter contre la chute des cheveux !

Extrait d'une lettre de Guy de Maupassant à Madame Alexandre-César-Léopold Bizet dit Georges Bizet (la femme du type qui a écrit La Traviata Les pêcheurs de perles) :

"Je vais, Madame, vous envoyer une première méthode contre la chute des cheveux. Si elle ne réussit pas tout de suite, prévenez-moi et je vous indiquerai un autre système, car les cheveux tombent pour deux causes : premièrement, paralysie du cuir chevelu, provenant de la nature grasse de la peau ; deuxièmement, excès contraire, c'est-à-dire extrême sècheresse des cheveux.
Le premier cas est le plus fréquent. Donc vous laverez la racine des cheveux deux fois par semaine avec de l'eau chaude où vous aurez jeté (quelques minutes avant de vous en servir) dix ou quinze gouttes d'ammoniaque afin de la rendre propre à bien dissoudre le savon. Vous emploierez pour ce lavage du savon de glycérine sans parfum, celui de Rimmel est peut-être le meilleur, puis vous rincerez et frictionnerez la peau avec le mélange suivant : dans un verre d'eau tiède, vous verserez une cuillerée à café de coaltar saponiné de Lebeuf de Bayonne.
Le coaltar, que l'on trouve dans toutes les bonnes pharmacies, doit avoir l'apparence verdâtre et laiteuse, sans aucun dépôt au fond de la bouteille.
Si le liquide est léger et dépose, il est trop vieux.
Mais l'inconvénient de ce système est de mouiller beaucoup la tête, ce qui est désagréable pour les femmes. S'il ne vous va point, je vous indiquerai un autre remède que j'ai vu réussir souvent, mais que je n'ai pas employé.
Il faut toujours essuyer la peau le plus possible et la sécher complètement.
N'employez aucune pommade ni huile, mais de la brillantine, sans jamais en mettre sur la peau, car les corps gras empêchent le fonctionnement, la vie de l'épiderme."


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On retrouve encore le goudron (tar) dans une autre expression anglo-saxonne : Tarring and feathering, le goudron et les plumes !
Cette torture, que s'inflige verbalement l'un de mes amis et qu'il utilise pour tenter de se faire pardonner ses erreurs les plus communes et futiles (nous ne savons rien des autres !), a été beaucoup pratiquée par les troupes britanniques lors de l'expédition d'Irlande en 1798 (braves anglais) et aux États-Unis, essentiellement contre la communauté afro-américaine.



Mais Richard the first (Coeur de Lion) l'utilisait déjà au 12ème siècle, lors des croisades, pour punir les traites et les voleurs. Le goudron chaud était versé préalablement sur la tête rasée du coupable.

"Richard par la grâce de Dieu, roi d'Angleterre et duc de Normandie et de l'Aquitaine, et comte d'Anjou, à tous ses sujets qui sont sur le point d'aller par mer à Jérusalem, salut. [...] Celui qui tue un homme sur un navire sera attaché et jeté en mer. Mais s'il tue sur terre, il doit être attaché et enterré. S'il est convaincu par des témoins légaux d'avoir tiré son couteau contre un autre, et d'avoir frappé de façon à tirer le sang, il perd sa main. Mais s'il frappe avec son poing sans en tirer de sang, il est plongé trois fois dans la mer. Mais si l'un nargue ou insulte un camarade, chargé avec lui de la haine de Dieu, autant de fois que celui-ci lui a insulté, tant d'onces d'argent, il doit payer. Un voleur, en outre, reconnu coupable de vol, doit être tondu, du goudron en ébullition est versé sur la tête, et les plumes d'un coussin doit être secoué sur sa tête, afin que celui-ci soit connu du public et à la première terre où les navires [accosteront] il est jeté à terre.
En vertu de mon propre témoignage à Chinon."

Laws of Richard Concerning Crusaders Who Were to Go by Sea. 1189 A.D.


Réjouissez-vous braves gens quand vous avez la tête dans le coaltar, vous auriez pu, en d'autres temps, avoir aussi les plumes.

Sur une idée de Martine W.

* références destinées à mon copain Mathieu